Les villes d'autrefois
Dans notre exploration des principes de l'urbanisme, il est essentiel de reconnaître que la tendance à faire table rase du passé, adoptée par certains urbanistes, mérite une réflexion critique. La perspective radicale de Le Corbusier, qui proposait de raser Paris pour reconstruire la ville selon ses idéaux modernistes, incarne une vision où l'évolution urbaine est perçue comme un cycle incessant de destruction et de reconstruction. Cette idée, exprimée ouvertement lors de ses interventions télévisées, illustre l'approche extrême soutenue par les adhérents de la Charte d'Athènes lors du IVe Congrès international d'architecture moderne (CIAM). Une telle approche, qui érige Le Corbusier au rang de figure quasi-mythique, révèle les excès d'une idéologie urbanistique qui, trop souvent, oublie les leçons du passé.
Contrairement à cette vision, nous affirmons l'importance de respecter et de s'inspirer du passé sans pour autant freiner l'innovation. L'architecture vernaculaire des villes historiques est souvent le fruit d'un processus de sélection naturelle urbaine qui a su s'adapter aux spécificités régionales, reflétant des siècles d'adaptation aux contraintes locales. Ignorer ces architectures et leur richesse historique, c'est négliger un héritage de savoirs accumulés au fil des millénaires.
La Charte d'Athènes, en promouvant un internationalisme standardisé, a souvent conduit à l'éradication des caractéristiques vernaculaires adaptées à leurs contextes spécifiques. En témoignent les bâtiments de style international à la Réunion, qui se détériorent rapidement sous l'effet d'un climat inadapté à leur conception. La disparition des appartements traversants nécessitant des solutions de ventilation mécanique, ou encore l'abandon de la surélévation du rez-de-chaussée, rendant les habitations vulnérables aux inondations, sont autant d'exemples des échecs de cette approche.
De plus, la configuration spatiale des villes anciennes favorisait la socialisation et la rencontre entre résidents, conçues pour un monde pré-automobile où la communauté et l'interaction sociale étaient au cœur de l'espace urbain. L'avènement de la "ville tout-voiture", particulièrement aux États-Unis et dans les pays ayant adopté ce modèle, a gravement compromis ces interactions, appauvrissant les liens sociaux et altérant la qualité de vie urbaine.
Cette réflexion nous incite à chercher des modèles plus harmonieux, où le respect du passé et l'innovation coexistent pour créer des villes qui non seulement respectent l'héritage architectural et social, mais enrichissent également la vie de leurs habitants.
Le Nouvel Urbanisme : redéfinir l'espace urbain pour le XXIe siècle
Dans le contexte de l'urbanisation galopante qui a marqué le XXe siècle, une nouvelle philosophie d'aménagement urbain a émergé pour répondre aux écueils du développement désordonné : le Nouvel Urbanisme. Cette approche, née comme une réaction aux pratiques urbanistiques dominantes qui favorisaient la ségrégation fonctionnelle et une dépendance accrue à l'automobile, cherche à revitaliser des modèles urbains plus traditionnels, en les adaptant aux impératifs contemporains.
Le Nouvel Urbanisme officiellement fondé en 1993 aux États-Unis, trouve ses racines dans une critique du modernisme architectural et urbanistique qui, dès les années 1920 avec la Charte d'Athènes, a prôné la fonctionnalité à l'extrême, souvent au détriment des dimensions sociales et esthétiques des espaces habités. Ce mouvement a vraiment pris son essor à la fin du XXe siècle aux États-Unis grâce à des penseurs et des urbanistes tels que Andrés Duany, Elizabeth Plater-Zyberk et Jeff Speck, qui ont formé la base intellectuelle et pratique du mouvement en rédigeant la Charte du Nouvel Urbanisme.
La Charte du Nouvel Urbanisme propose une série de principes visant à créer des environnements urbains intégrés, viables et esthétiquement plaisants. Ces principes comprennent :
La création de quartiers complets où les fonctions résidentielles, commerciales et publiques sont intégrées, favorisant ainsi un mode de vie où les déplacements peuvent se faire à pied.
La connectivité à travers un réseau de rues et de chemins qui encouragent les déplacements à pied et à vélo, et réduisent la dépendance à l'automobile.
Une échelle humaine dans la conception des bâtiments et des espaces publics pour encourager l'interaction sociale.
La mixité des fonctions et des groupes sociaux pour enrichir la vie communautaire.
L'engagement envers la durabilité qui se manifeste par l'utilisation de technologies et de pratiques de construction respectueuses de l'environnement.
L'attention aux détails architecturaux et au design des espaces publics pour créer des environnements urbains à la fois fonctionnels et esthétiquement enrichissants.
Aux États-Unis, le Nouvel Urbanisme a inspiré des projets comme Seaside en Floride et Kentlands dans le Maryland, des communautés planifiées qui incarnent les idéaux du mouvement. Ces projets ont servi de modèles pour d'autres développements aux États-Unis et ailleurs.
En Grande-Bretagne, l'influence du mouvement peut être observée dans des projets comme Poundbury, qui reflète l'engagement du Prince Charles envers des pratiques de développement durable et communautaire.
En Italie, bien que l'impact du Nouvel Urbanisme soit moins marqué, le respect pour les traditions architecturales locales et l'intégration harmonieuse avec le paysage sont des principes souvent observés dans les projets de développement.
En France, des architectes comme François Spoerry ont préfiguré certaines idées du Nouvel Urbanisme à travers des projets comme Port Grimaud, qui bien qu'antérieurs à la formalisation du mouvement, partagent de nombreux principes avec celui-ci.
Malgré ses succès, le Nouvel Urbanisme fait face à des défis, notamment la résistance de certaines pratiques institutionnelles et la difficulté de réformer les politiques urbaines établies. Cependant, son influence continue de croître, s'adaptant aux nouvelles réalités écologiques et sociales. Le Nouvel Urbanisme représente une réflexion profonde sur la façon dont les environnements urbains devraient être conçus pour répondre aux besoins fondamentaux des êtres humains pour la communauté, la beauté et la fonctionnalité. En s'efforçant de réintégrer l'humain au cœur de l'urbanisme, ce mouvement ne propose rien de moins qu'une refonte complète de la manière dont nous concevons les espaces urbains.
Il nous semble important de préciser que notre approches diffère quelque peu des principes établis par le nouvel urbanisme, principalement en ce que nous nous basons exclusivement sur une méthodologie scientifique, ancrée solidement dans la science statistique. Bien que nous anticipons d'arriver à plusieurs conclusions qui pourraient coïncider avec celles du nouvel urbanisme, notre démarche se distingue par sa formalisation explicite du bonheur humain comme coeur de notre étude. Le nouvel urbanisme, bien qu'intégrant cette notion au centre de ses préoccupations, ne l'a peut-être pas toujours explicitement formulé comme le pivot central de sa théorie. Notre objectif est de clarifier et de quantifier l'impact de l'urbanisme sur le bien-être, offrant ainsi une perspective enrichie et scientifiquement validée sur la manière dont les environnements urbains influencent la qualité de vie.
Des modèles à penser en France : Le Plessis-Robinson et Clamart
Il nous semble que les villes de Clamart et du Plessis-Robinson ont posé des éléments de réflexion novateurs et à regarder de près pour comprendre la manière qu'il faudrait employer pour rénover des zones urbaines. L'exemple de la rénovation de la zone Novéos est particulièrement intéressant, dans la mesure où il s'agit de rénover une zone qui était particulièrement dégradée en un nouveau morceau de ville, avec une mixité fonctionnelle, une mixité sociale, et une prise en compte des besoins bonheuriens, à savoir le besoin de nature, le besoin de beau, le besoin de proximité, mais également le besoin d'estime de soi, de continuer à socialiser et à participer activement à la vie communautaire, qui sont des composantes essentielles pour créer des environnements urbains où les individus peuvent non seulement vivre mais véritablement s'épanouir.
La rénovation urbaine, tout en étant cruciale pour revitaliser nos villes et nos périphéries, représente souvent un défi financier de taille. Face à ce constat, il devient primordial d'explorer et d'adopter des modèles économiques avant-gardistes capables de soutenir financièrement ces initiatives d'urbanisme durable. L'intégration de fonds d'investissement immobiliers dans le financement de ces projets apparaît comme une solution prometteuse, offrant une robuste alternative aux modes de financement traditionnels. Cette approche permettrait de mener à bien des transformations urbaines d'ampleur, améliorant ainsi significativement la qualité de vie dans nos villes, tout en minimisant l'impact sur les budgets publics. L'objectif est de créer des espaces urbains qui répondent aux besoins des citoyens actuels et futurs, en conciliant développement durable, bien-être social et efficacité économique.
Et, comme l'illustrent les initiatives novatrices pour ne pas dire visionnaires de Clamart et du Plessis-Robinson, la densification judicieuse d'espaces auparavant dégradés ou sous-utilisés peut révéler une équation économique favorable, rendant ces projets non seulement viables mais également attrayants pour des partenaires privés. Cette démarche permet de concrétiser des rénovations urbaines d'envergure qui, tout en répondant aux critères de développement durable et d'intégration sociale, génèrent des retombées économiques positives. En transformant ces zones en nouveaux morceaux de ville vivants et mixtes tant sur le plan social que fonctionnel, nous ouvrons la voie à une urbanité renouvelée et esthétique, où le bien-être des habitants et la viabilité économique s'entremêlent harmonieusement.
Voici une sélection de photographies illustrant le renouveau urbain du Plessis-Robinson et du Petit-Clamart. Si nous ne prétendons pas à la perfection dans ces réalisations, elles soulignent l'urgence et la pertinence de créer une école dédiée au nouvel urbanisme bonheurien. Il est indéniable que ces projets de rénovation urbaine se distinguent par leur approche exemplaire, répondant efficacement à une multitude de besoins essentiels au bien-être des habitants (sécurité, proximité, nature, beau, estime de soi, lien social...). Nous ne nous étonnerons pas de savoir que ces exemples de renouveau urbain sont aujourd'hui pris comme modèle dans le monde entier.
Une ancienne ville au bâti très dégradé et moche, devenue ville repoussoir
Une ville en renouveau, suite à une forte volonté politique
Un style pastiche assumé, décrié par beaucoup d'architectes, mais qui plait tant à ses habitants
Une belle place à la fantaisie architecturale néo-vernaculaire
Un nouvel urbanisme essentiellement piétonnier
Un urbanisme pensé pour sécuriser les gens
La nature omniprésente (eau, arbres et arbres remarquables, buissons, animaux...)
La préservation et rénovation des bâtiments anciens
La préservation et rénovation des quatiers pavillonaires
D'imposants nouveaux monuments publics néo-historiques
Des HLM aussi beaux que les autres immeubles mettant fin à un ostracisme social
La revitalisation des commerces et des lieux de convivialité
Des statues pour embellir la ville et lui donner du sens
Un mobilier urbain et une voirie multicolore et de qualité
Le soin permanent des détail et la recherche du beau dans toute la ville
Au cœur des débats sur l'urbanisme et le design architectural, la critique du pastiche et des couleurs jugées trop vives suscite souvent des réactions passionnées. Nous avons déjà répondu à la question du pastiche. Face aux critiques concernant les couleurs vives, notre réponse se veut pragmatique : il est essentiel de considérer l'impact du temps sur l'urbanisme. L'argument majeur en faveur de cette perspective est la patine naturelle que le temps confère aux espaces urbains, un processus qui intègre harmonieusement les nouvelles constructions dans le tissu de la ville.
Prenons l'exemple du cœur de ville du Plessis-Robinson, une zone qui, ayant été édifiée il y a plus de trois décennies, illustre parfaitement le phénomène de patination. Aujourd'hui, cet espace se distingue par son charme accru : la végétation luxuriante et la croissance des arbres ont créé un cadre plus attrayant, tandis que l'effet de patine a conféré aux immeubles une esthétique semblable à celle des bâtiments anciens. En revanche, la nouvelle Cité Jardin et les récents développements dans la ZAC Novéos affichent encore des couleurs vives qui, selon certains, tranchent avec leur environnement. Cependant, il est crucial de ne pas s'arrêter à une appréciation immédiate et de projeter notre regard vers l'avenir, envisageant l'aspect que ces constructions auront dans trente ans.
La transformation urbaine est un processus évolutif, où la patience et la vision à long terme sont indispensables. En anticipant la manière dont le temps et la nature œuvreront ensemble pour intégrer ces espaces dans le paysage urbain, nous pouvons mieux appréhender l'importance de concevoir des villes non pas pour l'instant présent, mais pour les générations futures. C'est en adoptant une telle perspective que nous pouvons véritablement apprécier la richesse et la diversité de l'urbanisme contemporain, reconnaissant la valeur ajoutée de la patine du temps dans la création d'un cadre de vie harmonieux et esthétiquement plaisant.
Voir en vidéo la présentation de la rénovation du Plessis-Robinson
Un deuxième exemple à penser : le Musée du Grand Siècle à Saint-Cloud
Le Musée du Grand Siècle représente un jalon remarquable dans le domaine de la rénovation urbaine, alliant avec maestria équilibre et sobriété. Cette transformation audacieuse de la caserne Sully, située à l'extrémité nord-Est du parc de Saint-Cloud, incarne un exercice d'équilibre entre conservation patrimoniale et innovation architecturale. Le projet ambitionne de préserver les structures anciennes de valeur, tout en éliminant celles dépourvues d'intérêt historique, souvent issues de constructions plus récentes. Cette démarche illustre de manière éloquente notre vision d'un dialogue constructif entre passé, présent et futur, marquant notre profond respect pour l'héritage tout en embrassant la modernité.
La direction du projet a été confiée à Alexandre Gady, qui a établi un cahier des charges qui stipulait la collaboration avec un architecte spécialisé dans le patrimoine historique tout en ayant une vision tournée vers l'avenir, illustrant parfaitement la synergie recherchée entre tradition et innovation. L'intervention de l'architecte Rudy Riccioti et de son équipe a transcendé les attentes, offrant à la caserne Sully une rénovation qui respecte son essence tout en y intégrant des éléments contemporains saisissants, comme en témoigne le nouvel escalier central. Cet ajout ne se contente pas de relier les étages ; il crée un dialogue entre les époques, démontrant une compréhension et une créativité remarquables.
De plus, l'intégration du nouveau pavillon du Belvédère, s'inspirant des folies architecturales historiques, introduit une touche de modernité qui respecte subtilement le site dans son ensemble. Cette réalisation est un exemple éloquent de la manière dont les interventions contemporaines peuvent coexister harmonieusement avec le patrimoine historique, enrichissant l'ensemble sans le dénaturer.
Le projet du Musée du Grand Siècle, par sa réussite exceptionnelle, devrait servir de modèle pour de futures initiatives de rénovation urbaine. Il démontre avec éclat que le respect du passé et l'innovation peuvent non seulement coexister, mais ensemble, engendrer des créations urbaines d'une richesse et d'une valeur inestimables pour les générations présentes et futures. Cette approche, qui fait dialoguer avec finesse et intelligence le patrimoine et la modernité, incarne la voie à suivre pour repenser notre environnement bâti.
Voir en vidéo la présentation du musée
Entourge de Étienne ALLEGRAIN
Vue du château de Saint-Cloud, circa 1700
ÉCOLE FRANÇAISE du XIXe siècle
Pont de Saint-Cloud et caserne de Sully, circa 1880
Digigraphie à partir d'une photo du projet de Rudi RICCIOTTI
Le futur Musée du Grand Siècle avec ses trois bâtiments, 2024
Bibliographie
Sophie et Xavier BOHL RAVERDY, Maisons saisons, observation sur l'architecture vernaculaire lors d'un voyage à pied de Paris à Ankara, Éditions alternatives, 1981.
François SPOERRY, L'architecture douce, Robert Laffont, France,14 février 1989.
Peter KATZ, The New Urbanism: Toward an Architecture of Community, États-Unis, McGraw-Hill Professional, 30 décembre 1993. Édition en Anglais.
Philippe PEMEZEC, Bonheur de ville, Organisation, France, 7 juin 2007.
Jan GEHL, Pour des villes à échelle humaine, Écosociété, France, 20 février 2013.
Congress for the New Urbanism & Emily TALEN, Charter of the New Urbanism, 2e édition, McGraw-Hill Professional, États-Unis, 16 juin 2013. Édition en Anglais.
Carlos MORENO, Droit de cité : De la "ville-monde" à la "ville du quart d'heure", L'Observatoire, France, 4 novembre 2020.